H.6 Cartographie de l’ordinaire

Fri Oct 28 / 15:30 – 17:00 / Burwash Room, rm 2005, Hart House

présidentes /

  • Christina Contandriopoulos, Université du Québec à Montréal
  • Andréanne Martel, Université du Québec à Montréal

Visuellement, les cartes sont des documents difficiles à classer. Souvent banales et anonymes, elles différent peu les unes des autres, régies par des conventions graphiques rigides. Elles représentent, de plus, des composantes discrètes du territoire comme les infrastructures ou les ressources. Les cartes traduisent l’invisible du paysage. Depuis les travaux séminaux de Brian Harley dans les années 80, les historiens ont beaucoup insisté sur le pouvoir des cartes, les pratiques critiques ou radicales mais qu’en est-il de l’ordinaire?

Dans le cadre de cette séance, nous invitons des approches diversifiées, inclusives et interdisciplinaires qui interrogent les cartes ordinaires, banales ou conventionnelles. En particulier les méthodes qui actualisent le regard comme les alliances entre l’histoire de l’art, du paysage et l’archéologie des médias. Les cartes pourront être envisagées en tant que source historique, en tant qu’outil d’analyse ou faisant partie d’un processus créatif.

Mots clés : cartographie, infrastructure, paysage, territoire

H.6.1 Atlas du cruising au Québec : désirs, surveillance et potentialités queers dans la création et la transgression cartographique

  • Hugues Lefebvre Morasse, Université du Québec à Montréal

Le cruising est une pratique discrète, non pas secrète. Effectivement, cette pratique — où des hommes se retrouvent dans l’espace public pour s'adonner à une sexualité souvent anonyme et expéditive — relève plus du secret de polichinelle : même ayant lieux loin des regards, le phénomène est connu et médiatisé autant au sein de la communauté gaie qu'auprès du grand public, que ce soit par l’entremise de modes de diffusion intracommunautaires, de produits culturels, de paniques morales médiatiques ou encore de la toponymie populaire. En reprenant les concepts de pratique spatiale critique et de futurité queer, le projet de recherche-création ici présenté tente de comprendre dans quelle mesure cette pratique ancestrale a été nécessaire à la formation d’espaces de sociabilité, de sécurité, de désirs et de potentialités queers au sein d’un ordre spatial hétéronormatif dominant. Grâce à un travail sur le terrain, le projet documente, représente et propose un inventaire des territoires, paysages et conditions matérielles du cruising et de sa surveillance au Québec. En s’inspirant de la cartographie populaire gaie — autant les guides de voyages gais du 20e siècle que les applications et sites web dédiés spécifiquement au cruising —, le projet propose ainsi un « Atlas du cruising au Québec » qui intègre, mais aussi incarne les espaces, les spatialités et les processus de spatialisation propres au phénomène ; un atlas donc qui sert plus à se perdre dans le paysage du cruising qu’à s’y retrouver. Protégeant de ce fait la sécurité des lieux étudiés et de leurs usagers plutôt qu’il ne pointe en leur direction, ce projet détourne et transgresse les normes de la représentation cartographique au même titre que les cruisers détournent et transgresse l’ordre spatial hétéronormatif, offrant ainsi une narration et une experience des environnements du cruising caractérisés par la diffusion, la désorientation, le flânage, l’éphémérité et le détournement.

Mots clés : cartographie, infrastructure, paysage, territoire

Hugues est un chercheur, designer, artiste, podcaster, organisateur communautaire et étudiant à la maîtrise en design de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal. Ses travaux, ses oeuvres et son implication au sein des communautés de la diversité sexuelle et la pluralité des genres sont tous le produit d’une large réflexion sur les espaces, les territoires et les paysages de possibilités et de désirs queers.

H.6.2 Évacuation et refoulement : anthropomorphiser les infrastructures hydrauliques urbaines

Laure Bourgault, Université du Québec à Montréal

En 1923, le quotidien Le Devoir emploie une métaphore anatomique pour décrire le nouveau système montréalais d’évacuation des eaux usées : « Sous la surface de la ville un peu comme sous l’épiderme du corps humain, s’étend une série de systèmes, qu’on pourrait comparer aux systèmes nerveux, vasculaire, intestinal. Les égouts sont les viscères d’une ville ». Cet exemple d’anthropomorphisation d’une infrastructure urbaine, loin d’être exclusive au contexte montréalais, s’inscrit au contraire dans une vaste tradition faisant de l'image et de l'organisation du corps humain un système permettant de penser à d'autres systèmes articulés (Connerton, 2011) – en particulier les « corps » urbains.

Dans le cadre de cette conférence, je m’interrogerai sur les motifs derrière l’emploi de métaphores anatomiques dans les discours sur le réseau montréalais d’évacuation des eaux usées. À travers l’étude d’une collection de cartes et d’articles de journaux issus des archives de la ville de Montréal, j’aimerais réfléchir à l’idée de l’égout comme refoulé, un mécanisme psychique permettant de maintenir à distance des éléments ou représentations potentiellement menaçants pour l’intégrité des sujets. Ainsi, il s’agira d’observer comment, paradoxalement, le fait d’attribuer aux égouts des caractéristiques (physiques, psychiques) humaines permet aux sujets de tenir à distance ce qui les lie matériellement aux eaux qui s’écoulent sous la ville, soit leur propre appartenance à l’environnement hydraulique urbain. Dans cette perspective, l’égout peut être pensé, aujourd'hui, comme un archétype de l’inconscient collectif néolibéral, où l’usure des eaux – à tenir à distance, autant que possible, jusqu’au « refoulement » d’égout – se fait le marqueur des pressions sur l’écosystème urbain imposées par la vie capitaliste.

Mots clés : eaux usées, métaphore, refoulement, égouts

Laure Bourgault vit et travaille à Tiohtia :ke/Mooniyang/Montréal. Son travail s’intéresse aux processus mémoriels collectifs, aux fondements politiques de la narration historique, aux rhétoriques nationalistes et à leur reflet dans l’occupation du territoire. Étudiante au doctorat en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal, elle a récemment pris part à des résidences et présenté son travail à Est-Nord-Est (Saint-Jean-Port-Joli), à AXENÉO7 (Gatineau), à L’OEil de poisson (Québec), à Regart (Lévis), a l’Arxiu Comarcal d’Urgell (Catalogne) et à la galerie Justina M. Barnicke (Toronto). Depuis 2018, elle coédite avec AM Trépanier la revue Cigale, dédiée a la publication d’écrits d’artistes contemporain∙es.

H.6.3 Représentations cartographiques de l’éclairage électrique à Montréal (1879-1901)

Valeria Téllez Niemeyer, Université du Québec à Montréal

Les infrastructures d’éclairage ont souvent occupé une place ambiguë dans le paysage urbain. Si, aujourd'hui, leur présence est peu discutée et leur place dans la ville est considérée comme allant de soi, au début du XXe siècle, elles étaient au centre des décisions urbaines. Les premiers réseaux électriques ont inondé les rues de poteaux et de fils électriques, suscitant à la fois méfiance et enthousiasme au sein de la population. Face à la coexistence chaotique des infrastructures techniques, la cartographie est apparue comme un outil nécessaire pour rendre lisible le tissu urbain de l’époque.

Peu de cartes historiques conservées dans les archives illustrent le réseau électrique de Montréal. L’une des plus remarquables date de 1901 et provient de Royal Electric Company, le plus important fournisseur d’éclairage électrique de cette période. La carte, d’apparence banale et dépourvue de qualités esthétiques, se veut une transcription technique et objective de la réalité. Bien que peu attrayante à première vue, la rationalité de l’image semble dissimuler des significations culturelles importantes sur la manière dont la ville a été construite et imaginée. Dans cette représentation, l'éclairage électrique est présenté sous une forme abstraite et simplifiée ; ce qui semble être révélé n'est pas la lumière elle-même, mais le désir d’éclairage à travers une forme de gouvernance du territoire urbain.

Cette présentation examinera l’évolution du réseau d’éclairage électrique à Montréal de 1879 à 1901 à travers l’étude de représentations cartographiques. À la manière de l’archéologie des médias, les cartes seront utilisées comme documents d’enquête pour comprendre comment l’éclairage électrique a affecté la manière de construire, de représenter et de percevoir la ville. À cette fin, des cartes historiques seront étudiées, mais aussi des cartes seront produites à partir de sources primaires afin de retracer et de rendre visible le développement de cette technologie au fil des ans.

Mots clés : night studies, culture visuelle, éclairage électrique, cartographie technique, infrastructures urbaines

Valeria Téllez Niemeyer est doctorante en histoire de l’art à l’UQAM. Elle est également titulaire d’un diplôme en design industriel de l’Université Diego Portales (Chili) et d’une maîtrise en médiation culturelle de l’Université Paris 8 (France). Son projet de recherche explore l’impact de la lumière électrique en ville à travers le prisme des médias visuels. À travers l’étude d’images imprimées non canoniques, cette thèse restitue les débuts de l’éclairage électrique à Montréal (1879-1935). Elle a publié l’article « Nuit électrique : atmosphères lumineuses à Montréal au XIXe siècle » (RACAR, 45, nº1, 2020) et a co-organisé le colloque « La ville et la conquête de la nuit, 18e-21e siècle » au Musée Stewart (2018). Ses recherches doctorales sont soutenues par le FRQSC, elle a également été récipiendaire des bourses de la SHM (2022) et du LHPM (2021) et a participé du programme de résidences pour doctorants du CCA (2018).

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