F.6 Le double du corps: entre arts, sciences et musées


F.6 The Double of the Body: Between Arts, Sciences and Museums

Sat Oct 17 / 9:00 – 10:30
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  • Jessica Ragazzini, Université du Québec en Outaouais (UQO)
  • Mélanie Boucher, Université du Québec en Outaouais (UQO)

De tout temps, l’être humain a aspiré à créer son double. Il s’agit tant de la quête du scientifique que celle du créateur qui, comme Pygmalion, souhaite donner « vie » à son œuvre. De la fiction artistique à la science-fiction, la frontière est parfois mince. Les buts poursuivis sont-ils les mêmes ? Le double ne se limite pas au corps imaginé dans la littérature, ou produit en laboratoire, il est notamment présent dans les arts visuels, au cinéma et même en milieu muséal, où le public d’hier et surtout d’aujourd’hui cherche dans les œuvres diverses formes de correspondances. Comment aborder ces simulacres variés, issus des vis-à-vis entre le soi et l’autre ? Imprégnés d’une valeur esthétique, théologique, scientifique, même politique, que nous disent-ils de notre rapport à la corporéité ? À la lumière de l’actualité, cette séance souhaite contribuer à la réflexion sur l’humain et son double.


Human beings have always aspired to create their double. It is both the quest of the scientist and that of the creator who, like Pygmalion, wishes to give "life" to his creation. From artistic fiction to science fiction, the border is sometimes thin. Are the pursued goals the same? The double is not limited to the body imagined in literature, or produced in a laboratory, it is notably present in visual arts, in cinema and even in museum environment, where the public of yesterday, and today especially, seeks in works various forms of correspondence. How to approach these various simulacrums, from the vis-à-vis between the self and the other? Steeped in aesthetic, theological, scientific, even political value, what do they tell us about our relationship to corporeality? In the todays’ light, this session wishes to contribute to reflection on the human and his double.

Jessica Ragazzini est doctorante en études des arts (cotutelle UQO/Université Paris Nanterre). Son parcours en philosophie est mis à profit dans des recherches transdisciplinaires portant sur la tension qui réside entre le corps réifié et l’objet subjectivé en photographie. Depuis 2018, elle est assistante de recherche pour le projet Origine et actualité du devenir objet du sujet : se recréer au musée, dans les expositions. En 2019, elle est commissaire adjointe de l’exposition La Robe de chair au Musée national : expositions et reconstitution, présentée Galerie UQO où elle est également assistante. Elle a effectué plusieurs communications (UAAC, ACFAS, Cerli, Stella Incognita) et publié sur les thèmes de l’animation des objets inertes et sur l’objectivation des corps et de la photographie (Graat Études sur le genre & Études culturelles, Meridian of criticism – Annals of Stefan cel Mare University of Suceava, Angles Digital Subjectivities).

Mélanie Boucher est professeure aux programmes de muséologie et d’histoire de l’art de l’UQO. Préalablement, elle a occupé différents postes en conservation/recherche ainsi qu’effectué du commissariat indépendant. Elle possède une expertise sur les stratégies intrusives par lesquelles les musées insèrent ponctuellement de l’art contemporain dans les salles de leurs collections et sur les enjeux liés à la diffusion de performances muséalisées. Son intérêt pour l’art performatif, duquel découle une thèse de doctorat, oriente également ses recherches vers le tableau vivant et les pratiques apparentées. Boucher est chercheuse principale du groupe de recherche Origine et actualité du devenir objet du sujet : se recréer au musée, dans les expositions (CRSH) et membre du groupe de recherche CIÉCO : Collection et impératif évènementiel (CRSH). En 2019, avec Ersy Contogouris, elle est rédactrice invitée du dossier de la revue RACAR Stay Still : Histoire, actualité et pratique du tableau vivant.

muldoonbd. (Utilisateur Instagram), Egon Schiele’s self portrait 1910. Image numérique - Autoportrait par mise en scène, 2 septembre 2020, Capture d’écran.

F.6.1 L’œuvre d’art et l’expérience humaine de son absence : le cas des égoportraits d’identification en temps de pandémie. Un regard muséologique et anthropologique

Eric Langlois, UQO – ÉMI

La crise pandémique, par sa période de confinement et de fermeture des institutions muséales, nous a éloignés des vraies choses du musée, des musealia. (Cameron, 1968). Ce sont leurs caractéristiques mises au service de l’action et de l’identité humaine (Julien et Rosselin, 2005) qui induisent une appropriation de l’objet (Lefebvre, 1970). De même, sonder le rôle social des objets nous permet de comprendre divers jeux de force ayant un impact sur les identités individuelles et sociales (Bourdieu, 1979). C’est dans ces conditions qu’il est proposé de mettre en perspective cet éloignement forcé de la chose muséale. C’est dans le contexte des collections d’art, voire de leur existence numérique, qu’il est particulièrement pertinent d’observer un phénomène qui était déjà latent à l’ère pré-COVID-19 : l’égoportrait d’identification par la mise en scène. Les #gettychallenge, #artenquarantaine ou #museumathome ont notamment servi de vecteurs dans les réseaux sociaux (Langlois, 2020). Si transformer les objets est une manière de marquer une appropriation et que ceux-ci transforment ceux qui les manipulent (Turgeon, 2007), soulignons que cela s’est fait – pour la période observée – de manière ludique et créative (Langlois, 2020). Une construction réciproque dépolarisant les concepts « nature » et « culture » et alliant comme « médiateurs », objets et sujets (Bonnot, 2014). L’expérience humaine de l’objet, ici objet d’art, est un puissant moteur identitaire. Que cette expérience participative ait été numérique, tant par le substitut-image que par son cadre de diffusion, cela n’a pas empêché l’être humain d’amplifier le phénomène pour ainsi répondre à ses besoins identitaires, exacerbés par le confinement. On a ainsi porté un objet absent - l’œuvre - comme présent (Marin, 1994). Car lorsque la vraie chose devient inaccessible, elle devient bien souvent d’intérêt et ne reste alors que le substitut numérique pour nous assouvir, nous êtres humains et éminemment sensibles que nous sommes.

Eric Langlois est professeur de muséologie et patrimoines à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Spécialisé dans le champ de recherche qu’est la cybermuséologie, on lui doit notamment la création du premier programme de premier cycle dans ce domaine au Canada. De fait, après une carrière professionnelle consacrée au développement d’applications en cybermuséologie (sites, jeux, expositions), il est engagé par l’UQO en 2002 afin de développer ce programme au sein de l’École multidisciplinaire de l’image (ÉMI). Il y crée également, avec la professeure Nada Guzin Lukic, un programme de premier cycle complet en muséologie et patrimoines. Il a également fait partie de l’équipe professorale de l’ÉMI qui a initié un nouveau programme de maîtrise en muséologie et pratiques des arts. Alliant théorie et pratique, il réalise des mandats de recherche pour différents organismes et institutions. Son expertise unique est reconnue au Canada et à l’international.

Pl. XV. Gautier d’Agoty, Jacques Fabien, Myologie complète en couleur et grandeur naturelle, composée de l’essai et de la suite de l’essai d’anatomie, en tableaux imprimés, 1746. Cote 937.

F.6.2 Deux corps en un : la greffe et l’imaginaire du double

Jean-François Chassay, Université du Québec à Montréal

Si les greffes végétales existent grâce aux Chinois depuis quelques milliers d’années, les transplantations humaines sont évidemment beaucoup plus récentes. D’une greffe de cornée (1905) à celle d’un utérus (2014), en passant par la transplantation cardiaque réussie par le docteur Christiaan Barnard en 1967, le phénomène est devenu presque banal. Néanmoins sa présence dans l’imaginaire est toujours aussi prégnante. Comment accepter une part de l’autre en soi? Comment l’Identité en est-elle altérée? Ces questions ont été finement abordées sur le plan philosophique par Jean-Luc Nancy dans L’intrus. Mais les artistes, les écrivains, les cinéastes, s’en sont aussi emparés de multiples façons. La Biennale nationale de sculpture contemporaine en 2012 intitulée Greffé/griffé donnait à sa manière une idée de l’importance de motifs comme l’altérité et l’hybridité dans une réflexion artistique sur la greffe. Littérature et cinéma insistent sur ce sujet et montrent comment il renouvelle la figure centrale dans l’imaginaire du double, qu’on pense aux allogreffes (Les mains d’Orlac) ou aux xénogreffes (The Island of Dr. Moreau, The Fly). Cette communication s’arrêtera dans cette perspective au roman Corps désirable du romancier français Hubert Haddad qui s’appuie sur les théories assez fumeuses du neurochirurgien italien Sergio Canavero, ce dernier affirmant pouvoir réussir bientôt une greffe de tête. Le roman imagine que l’opération fonctionne et s’interroge sur les multiples problèmes d’identité que Canavero ne soulève pas. Comment vivre dans le corps de quelqu’un, à la fois soi et autre? Le corps devient un objet esthétique, de fascination et de rejet : le personnage se regarde « à distance ». En ce sens, la perception est au cœur du roman. Cette réflexion philosophique se noue à une intrigue policière, Private I et Private Eye prenant ici une dimension singulière.

Professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal depuis 1991, Jean-François Chassay a publié 31 livres (fictions, essais, anthologies, direction de collectifs) et fera paraître l’an prochain aux PUM un essai intitulé La monstruosité en face. Essai sur les sciences et leurs monstres dans la fiction. Il a été codirecteur de la revue Spirale (1986-1991) et directeur de la revue Voix et Images (1998-2001) en plus d’être chroniqueur pour de multiples émissions littéraires à Radio-Canada depuis 1986. Il s’intéresse en particulier à la représentation de la science et du scientifique dans la fiction et dans le discours social, dans des perspectives épistémocritiques et sociocritiques.

WhiteFeather Hunter, Mooncalf, digital photograph, 2019.

F.6.3 Mooncalf

WhiteFeather Hunter, University of Western Australia

The research-creation project I will present intersects witchcraft with laboratory practice from a material and eco-feminist point of view, through body-based art and science experimentation. I am currently engaged in a series of lab experiments that determine the viability of menstrual serum as a substitute for Fetal Calf Serum, used to culture (grow) mammalian tissue in vitro. Tissue culture is now used to promote a speculative future of « clean meat » or lab-grown meat that replaces animal products. In my project, the human offers to stand in for the animal meant to be consumed, through use of biotechnologies and without sacrificing herself. My alternative use of menstrual serum references historical trends of cannibalism, believed to have occurred due to food scarcity in times of climate change. The term, ‘mooncalf’ is an outdated descriptor for a deformed mass of tissue growing in a bovine uterus. This monstrosity was believed to be caused by lunar influence, usually an eclipse or ‘blood moon’. Ritual observations of blood moons links the mooncalf to blood sacrifices meant to mitigate supernatural malevolence. The term, mooncalf, later came to refer to any ‘poorly conceived’ or idiotic idea, pointing to the critique of lab-grown meat inherent in this project. The Mooncalf project is meant to invoke pre-scientific magic rituals, providing an entry point to reconfigure the ‘witch’ as a skilled biotechnologist. By ‘witch’, I mean culturally villainized figures of female autonomy or feminine bodies, as well as contemporary feminist identities that align with posthuman eco-feminism. Such witchcraft includes sci-tech praxes claimed by feminist artists working in biotech and performing ‘socially reproductive’ labour. In Bioart Kitchen; Art, Feminism and Technoscience (Kelley, 2016), artist and scholar, Lindsay Kelley asks, “What do new technologies taste like?” Mooncalf is a symbolic answer, meant to facilitate a cultural ‘taste’ for feminist biotechnologies.

WhiteFeather Hunter is an internationally recognized Canadian artist and scholar, residing between Gatineau (Hull), Quebec and Perth, Australia. She is currently a SSHRC Doctoral Fellow, Australian Government Commonwealth Scholar and Postgraduate Scholar at the University of Western Australia, situated between the School of Human Sciences (SymbioticA International Centre of Biological Art) and the UWA School of Design. WhiteFeather's practice investigates vital materiality through biotechnological protocols, witch/craft, performance and new media. She presents work internationally, recently at Ars Electronica (AT), KIKK Festival (BE), University of the Arts Helsinki (FI) and in numerous North American cities. Her PhD thesis is a transdisciplinary research-creation project that fuses tissue engineering and eco-feminist witchcraft.

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